MICHAEL ABRIL

À travers les fenêtres

« Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie ».

– Extrait du poème « Les fenêtres », de Charles Baudelaire –


Série photo réalisée pendant cette période unique du confinement en raison de la pandémie de la Covid-19.

Un recueil de portraits de personnes photographiées à travers leur fenêtres. Distance sécuritaire, isolement mais aussi poésie et curiosité d’entrer dans l’intimité d’un chez soi au travers d’une fenêtre.

Les photos sont accompagnées de questions posées aux sujets de chacune des photos et de certaines de leurs réponses.

Montréal, Qc. 2020

· ·   ·

– Comment te sens tu derrière tes fenêtres?

«J’ai l’impression que je vois tout et que personne ne me voit  . Disons que j’y porte peu attention, je n’ai pas besoin de vivre cachée et j’aime observer donc ça me va.»

– Si le confinement était une métaphore, qu’elle serait-elle?

«Drôle de moment. Instant historique. Vécu de l’intérieur, il sonne comme un matin d’apocalypse qui évolue chaque jour à coup de prises de paroles politiques, de mesures existentielles, de peur, d’abandon et de cette envie de ne pas y croire vraiment. Ce sentiment qu’en te couchant, tout redeviendra normal.»

– Caroline –

– En ce temps de confinement que représentent ou que sont pour toi tes fenêtres?

«Les fenêtres sont pour moi l’ajout d’une membrane protectrice et à la fois transparente pour le corps physique. Un rappel qu’on est tous bien petit dans tout ça».

– Que ne peux tu plus voir en étant derrière tes fenêtres?

«Je ne peux plus voir mes parents. Et c’est con.»

– Martin –

– Qu’aperçois-tu de ta fenêtre?

«Depuis ma fenêtre je vois les appartements et maisons d’à côté. Mais surtout des personnes qui sont beaucoup plus proche de moi, actuellement, que mes proches.  C’est assez perturbant, je ne connais pas très bien mes voisins et pourtant ils sont mon nouveau quotidien.»

– Comment te sens tu derrière tes fenêtres?

«Impuissante. Étrangère. Cela fait trois ans que je vis au Québec, à cause de toute cette situation, mon statut de travailleur temporaire prend un tout nouveau sens. Je me sens réellement comme une étrangère, dans un pays étranger, pour la toute première fois, depuis mon arrivée à Montréal.»

– Maud –

– Ton idée du confinement lors de son annonce, est-elle différente de la réalité de cette dernière?

«La réalité du confinement fut totalement différente de ce que j’aurai pu imaginer. La vie a pris un tout autre sens, a fait ressortir un besoin essentiel, celui des autres, de notre communauté.

Nos relations, douces ou plus complexes, ont une valeur si précieuse et indispensable à notre vie d’humain.»

– En ce temps de confinement que représentent ou que sont pour toi tes fenêtres?

«Les fenêtres en temps de confinement sont devenues nos espaces de jeux et de contact avec le monde.

Avec Émile, nous construisons beaucoup d’histoires inspirées des éléments extérieurs, qu’on intègre dans notre récit intérieur. La structure physique de la fenêtre est devenue un espace d’entérinement aux super-héros, une ballade pour les dinosaures et surtout un lieu de “pari”.»

– Julie & Émile –

– Qu’aperçois-tu de ta fenêtre?

«Les fenêtres de notre maison sont hypnotisantes. On y voit la façade des appartements cousins du nôtre de l’autre côté de la rue et de la ruelle. Un étrange miroir où d’autres personnes vivent probablement les mêmes “bouleversements monotones” que nous. Regarder par la fenêtre est comme se perdre dans les flammes d’un feu, se perdre dans ses pensées.»

– Si le confinement était une métaphore, qu’elle serait-elle?

«Je vis le confinement comme ce que je m’imagine d’une année sabbatique. C’est une occasion d’approfondir certaines réflexions et actions que nous mettons normalement de côté, faute de temps.»

– Jacques –

– Ton idée du confinement lors de son annonce, est-elle différente de la réalité de cette dernière?

«Je m’attendais à vivre un confinement plus intense comme en Europe. Le fait de pouvoir aller marcher ou faire du vélo me sauve la vie.»

– Que ne peux tu plus voir en étant derrière tes fenêtres?

«Mes amis. C’est ce que je trouve le plus difficile. De ne pas pouvoir prendre les gens que j’aime dans mes bras, avoir une conversation face à face.»

– Simon –

– En ce temps de confinement que représentent ou que sont pour toi tes fenêtres?

«Les fenêtres baignent ma maison d’une lumière vitale à ma santé mentale. Elles me permettent de regarder évoluer le printemps, elles fournissent à mes plantes une précieuse luminosité dont elles ont tant besoin, elles inondent mon salon d’une ambiance douce, réconfortante, le transformant en cocon inspirant où j’ai envie de passer le plus clair de mon temps.»

– Si le confinement était une métaphore, qu’elle serait-elle?

«Le retour vers soi»

– Kristia –

– En ce temps de confinement que représentent ou que sont pour toi tes fenêtres?

«Mes fenêtres sont ce qui sépare le stress temporaire du monde extérieur de mon petit oasis de calme à l’intérieur.»

– Ton idée du confinement lors de son annonce, est-elle différente de la réalité de cette dernière?

«Je n’ai pas trouvé cela particulièrement difficile. J’aime passer du temps seule. Cela me donne le temps de réfléchir et de me réaligner.»

– Amanda –

– Qu’aperçois-tu de ta fenêtre?

«De ma fenêtre, je vois une petite ouverture sur le monde.»

– Que ne peux tu plus voir en étant derrière tes fenêtres?

«La normalité, du moins notre définition de la normalité.»

– Sylvie –

– En ce temps de confinement que représentent ou que sont pour toi tes fenêtres?

«C’est par les fenêtre que le calme m’est apparu en premier. Sans les avions, sans les voitures. Surtout depuis que j’ai commencé à les ouvrir.

Elles sont un lien avec l’extérieur, comme elles l’ont toujours été d’ailleurs. J’ai toujours adoré regarder par la fenêtre. Sans compter écouter les bruits.»

– Comment te sens tu derrière tes fenêtres?

«Je me sens à l’intérieur mais aussi uni avec la vie qui m’entoure. La lumière crée la vie et les deux entrent chez nous par les fenêtres. En avant il y a les arbres, qui abritent les écureuils et les faucons. En arrière les moineaux et les jaseur. La vie continue, littéralement.»

– Mathieu –

– Qu’aperçois-tu de ta fenêtre?

«Le temps. Le temps présent. Le temps que l’on ne prends jamais. Le temps de profiter, de savourer. Le temps de s’arrêter un instant pour mieux avancer, un peu plus tard.»

– Si le confinement était une métaphore, qu’elle serait-elle?

«Une pause nécessaire. L’éloge de la lenteur et du temps qui ralentit notre rythme souvent effréné. Un paradoxe étrange, une chance de voir les choses autrement et de se rapprocher de ce qui compte le plus pour nous.»

– Jenn & Zach –

– Que ne peux tu plus voir en étant derrière tes fenêtres?

«La frénésie aveugle qui nous habite en temps normal.»

– Si le confinement était une métaphore, qu’elle serait-elle?

«Une profonde introspection.»

– Sylvain –

– Qu’aperçois-tu de ta fenêtre?

«Tous les arbres dans le jardin, les animaux du voisinage et mes animaux interagissent avec tout ce qui se passe dans le jardin.»

– Si le confinement était une métaphore, qu’elle serait-elle?

«Un film que nous avons l’occasion de vivre une fois pour apprendre profondément de nos erreurs et de réfléchir à des solutions à long terme pour une société meilleure. »

– Juan –

– En ce temps de confinement que représentent ou que sont pour toi tes fenêtres?

«Ma fenêtre me permet d’apprécier la nature en désespoir.»

– Comment te sens tu derrière tes fenêtres?

«Privée de ma liberté sans parler à personne. C’est dur!»

– Lise –

– Qu’aperçois-tu de ta fenêtre?

«Des espaces de ciel bleu, de branches qui se balancent dans le vent et tentent de bourgeonner, un regard vers l’autre en face, nos voisins. Des écureuils qui se courent après, des oiseaux qui chantent en coeur, des gens qui s’évitent ou des rues désertes.»


– Comment te sens tu derrière tes fenêtres?

«Je m’y sens bien surtout lorsque la lumière orangée du soir y entre de biais en caressant les murs. Puis tout à coup, sans crier gare, j’étouffe.»

– Clémentine –

– Comment te sens tu derrière tes fenêtres?

«Je suis isolé. Mais je ne me sens pas nécessairement mal. J’étais déjà isolé avant, donc la pandémie n’a pas changé beaucoup pour moi.»

– Que ne peux tu plus voir en étant derrière tes fenêtres?

«Les magasins, les restaurants, les rencontres qu’on pouvait faire dans ces endroits. Je m’ennuie d’aller manger dehors, de rencontrer la famille et les amis.»

– Jean Guy –

– Comment te sens tu derrière tes fenêtres?

«En sécurité et confortable, mais aussi, parfois, solitaire et désespérée.»

– En ce temps de confinement que représentent ou que sont pour toi tes fenêtres?

«En période de confinement, les fenêtres nous permettent d’accéder à la routine quotidienne des autres. En se promenant dans la ville vide, les fenêtres deviennent la seule preuve que la vie, après tout, continue; que vos compagnons humains se débrouillent aussi misérablement et gracieusement que vous. Les fenêtres sont des espoirs et des rappels; ce sera fini, nous serons à nouveau ensemble.»

– Irene –

– Ton idée du confinement lors de son annonce, est-elle différente de la réalité de cette dernière?

«Oui, je ne pensais pas que j’allais autant voir les bénéfices d’être confiné avec soi-même. Ça m’a permis de ralentir mon rythme de vie, qui peut parfois être trop rapide et prendre le temps d’apprendre à mieux me connaitre.

J’apprécie aussi beaucoup plus mes amitiés. Je saisis davantage le moment lorsque je parle avec eux. C’est dans toute la simplicité de discuter avec eux que je ressens beaucoup de bonheur.»

– Si le confinement était une métaphore, qu’elle serait-elle?

«On est des chrysalides.  Après un confinement, on émerge transformés.»

– Zoë –

– En ce temps de confinement, que représente ou que sont pour toi tes fenêtres?

«L’objet du désir, l’envie de sortir.»

– Si le confinement était une métaphore, qu’elle serait-elle?

«Le plus grand jeûne de câlins de toute l’histoire de l’humanité. »

– Anne –

– Comment te sens tu derrière tes fenêtres?

«Je me sens protégée du virus comme dans une forteresse blindée. La grandeur de mon petit appartement n’a plus aucune importance.»

– Que ne peux tu plus voir en étant derrière tes fenêtres?

«Ma famille et surtout ma mère en CHSLD…..une profonde tristesse, des montagnes russes d’émotions… La femme qui m’a mise au monde est dans les mains d’inconnus et si fragile devant ce virus….je ne pouvais la voir…..je ne pouvais lui parler.

Heureusement le gouvernement a mis en place des mesures en mai afin que nous puissions communiquer avec elle. Elle n’a jamais eu le covid-19. La moitié de ses amies au centre sont morts(e)s.»

– Marie-Josée –

Je tiens à remercier à toutes les personnes qui ont participé à ce projet: 

Martin Randez | Caroline Rousseau | Maud Sirce | Julie Espinasse | Émile | Jacques Poulin-Denis | Kristia Louis-Seize | Simon Couturier | Amanda Robinson | Jenn Pechberty | Zach | Mathieu Rivard | Sylvie Caron | Sylvain Millette | Lise Bouthillier | Clémentine Sallée | Zoë Barnes | Jean Guy Beaulieu | Irene Serrano | Élio | Juan Zarruk | Anne Lalancette | Marie-Josée Perreault

Using Format